Le monde part en C***, internet nous y conduit

Plus rapidement que vous le croyez

Habitant Abraham đź’š
6 min readJul 7, 2023
“Media” est une création de l’artiste ivoirien Chula, exposée au Musée de Cultures contemporaines Adama Toungara d’Abobo. Il est l’allégorie de l’impact des médias sur la construction de notre identité.

Ce matin encore, je suis tombé dans le piège. Dès le réveil, au lieu de tourner mes yeux vers le ciel et prier, j’ai pris mon lalé et j’ai commencé à scroller. Hier, je m’étais pourtant promis de ne plus me faire avoir, mais l’appel des notifications a été plus fort. Face à moi, sur mon écran, des milliers d’informations que j’absorbe continuellement. Tous ces textes, tweets, photos, vidéos, malgré leurs sujets différents, me disent la même chose : le monde part en c*** et internet nous y conduit à toute vitesse. Excusez mon français, mais l’urgence n’a que faire des convenances.

Les latés et les moindres

Elon Musk, depuis le rachat de Twitter, ne fait qu’enchaîner des mises à jour mal reçues par les utilisateurs. La dernière en date a été l’instauration d’une limite au nombre de tweets pouvant être vus chaque jour. Ainsi, le premier juillet, nous sommes passés d’une utilisation illimitée de Twitter à l’impossibilité de voir plus de 600 tweets en une journée, à moins d’avoir un compte certifié. Dans ce dernier cas, le nombre de tweets pouvant être vus était de 6000. Ce changement, qui n’a pas manqué de susciter le mécontentement des utilisateurs, n’a duré qu’une journée. Mais cela a suffit pour créer de gros désagréments, notamment dans la twittosphère ivoirienne, qui n’a pas pu profiter pleinement de la finale de Miss Côte d’Ivoire.

Si le twittos compulsif que je suis était évidemment du côté des mécontents, dans mon esprit une petite voix me chuchotait que ce changement n’était pas si mal. Pire encore, cela ne serait pas une mauvaise idée de l’étendre à tous les réseaux sociaux existants. Je vois déjà certains habitants ramasser des cailloux. Mais avant que vous ne me jetez des pierres, laissez moi m’expliquer.

Parfois la parodie est si proche de la réalité.

Prenons un cas concret, celui des moindres. Tout part d’une vidéo postée sur Tiktok il y a quelques semaines, dans laquelle une jeune fille donne les critères du partenaire amoureux idéal selon elle. Rien de bien méchant, jusqu’à ce qu’elle affirme qu’elle ne peut pas sortir avec “un moindre”. Par “moindre”, elle entend quelqu’un dont les parents n’ont pas un statut financier à la hauteur des siens, sinon plus élevé.

Au-delà de la condescendance de l’expression “moindre”, cette vidéo est à l’image de la société ivoirienne actuelle. Une société fracturée entre les personnes ayant un pouvoir d’achat relativement élevé, considérées comme des “latés”, et les autres pour qui joindre les deux bouts du mois relève du parcours du combattant. Ce sont ces derniers qui sont caractérisés par l’expression “les moindres”.

Pour en apprendre plu sur la polémique autour des moindre, je vous invite à lire l’article qu’African issue a fait sur le sujet

Si internet n’est pas à l’origine de ce clivage, il est pour beaucoup dans l’accentuation des tensions . En effet, la croissance à deux chiffres que connaît notre pays ne profite pas à tout le monde de la même façon. Entre les latés, grands gagnants de cette émergence, et les moindres, pour qui elle se résume à une baisse du pouvoir d’achat, se trouvent les réseaux sociaux.

Ces derniers, initialement conçus pour servir de moyen de communication et de distraction, sont devenus le temple de l’apparence et du “m’as-tu-vu”. Si bien que les personnes moins aisées, qui se servent des réseaux pour oublier leurs soucis du quotidien, se retrouvent une fois leurs écrans déverrouillés, devant des publications montrant un train de vie auquel elles n’ont pas accès. Les tensions de cette réalité à laquelle elles veulent échapper les retrouvent dans le monde numérique dans lequel nous sommes tous habitants et voisins. Ainsi, coexistent dans le même espace deux versions différentes de la Côte d’Ivoire.

Comme il faut s’y attendre, cette coexistence n’est pas de tout repos. Les tensions, qui la plupart du temps restent silencieuses ou se transforment en commentaires désobligeants sous les photos, peuvent conduire à une déshumanisation de l’autre. Les blagues faites sur le décès de la Française supposément tuée par son fils en Zone 4 nous le démontrent. À l’ère d’internet, ce qui compte, c’est d’obtenir le maximum de “likes” sur le commentaire le plus immature.

Bref, à travers leurs écrans, les Ivoiriens regardent leur pays se fracturer et devenir une terre de toxicité. Une drôle d’ambiance qui semble régner non seulement en Côte d’Ivoire, mais sur la planète entière.

Apres l’odeur de l’essence, l’allumette qui craque

Impossible de passer à côté de cette info. La mort du jeune Nahel, tué par un policier pour un refus d’obtempérer, a fait le tour du monde. Plus que cet incident tragique, ce sont les événements qui ont suivi qui ont attiré mon attention.

Autant être honnête, les émeutes étaient prévisibles. Depuis des mois, voire des années, la France est au bord de l’implosion. Il suffit de se balader sur Twitter ou YouTube pour voir s’affronter deux narratifs. Ici, ce n’est pas une question de latés ni de moindres, mais plutôt de pro-immigration, qualifiés d’islamo-gauchistes par leurs opposants, et des contre immigrations, qualifiés de fachos par le camp adverse. Chacun de ces groupes, ayant ses propres médias et influenceurs, diffuse à longueur de publications des visions différentes de la crise économique et sociale que traverse la France actuelle.

L’odeur de l’essence flottait déjà dans l’air quand la mort de Nahel a fait craquer l’allumette. Et même après que tout se soit enflammé, chacun des clans, fidèle à ses narratifs, a donné des récits différents des événements qui ont causé ce tragique incident . De nombreux éléments de ces récits étaient pourtant basés sur des fake news, l’un des plus grands problèmes de notre époque.

Le pic de ce clivage a été atteint avec les émeutes, certes, mais également avec les différentes cagnottes lancées pour aider la famille de Nahel et celle du policier. Si la première était attendue, la seconde a beaucoup surpris. Loin de vouloir faire l’unanimité, cette dernière avait pour but d’exprimer l’existence de cette France qui croit que l’immigration est la cause de tous ses maux.

À cela s’ajoutent les lectures différentes et simplistes données des différentes émeutes. Là encore, deux narratifs différents. Le premier est celui de la protestation d’une France des banlieues marginalisées par un racisme systémique, le second celui d’une bande de casseurs profitant d’un incident pour mettre le feu à l’hexagone.

Peu importe votre positionnement, les réseaux sociaux affecteront votre vision de la réalité. Preuve en est, malgré ma volonté de préserver mon impartialité dans cet article, vous aurez certainement deviné à quelle version de l’histoire je crois. Les tonnes de publications que mon cerveau absorbe chaque jour en sont pour beaucoup.

Une seule solution : devenir des Habitants d’internet.

J’espère que les pierres ne vont pas m’être lancées. De toute façon, j’ai fait taire la voix qui voulait me faire croire que limiter notre accès aux réseaux était la solution. Surtout que sans ceux-ci, les informations que nous aurions reçues seraient celles des médias classiques, qui ne sont pas des exemples d’impartialité.

N’empêche qu’il est indéniable que le monde est traversé en ce moment par de nombreuses crises. Internet nous permet d’en être informés , mais contribue à accentuer les tensions et le clivage en nous maintenant dans des biais de confirmation. Si bien qu’à tout moment, tout peut partir en c***.

Face à la dangerosité de la situation, il est plus qu’urgent de prendre les meilleurs décisions. Car à l’ère de la fibre , les choses vont aussi vite que des gigabits. Faire l’autruche ou être infantilisés par les plateformes ne résoudra rien. Il nous revient de prendre du recul sur les événements, de ne pas réagir sur le coup du trop-plein d’émotions et de vérifier au maximum nos sources d’information.

Autrement dit, être de meilleurs Habitants d’internet.

--

--

Habitant Abraham đź’š

Juriste• Enseignant• Écrivain & Habitant d'internet• SOLARPUNK • @greenpillciv Chapter Lead • Founder of Habitants d'Internet #HDI💚